- INTERCELLULAIRE (MATRICE)
- INTERCELLULAIRE (MATRICE)La matrice intercellulaire est une substance qui se trouve chez les animaux pluricellulaires dans les espaces intercellulaires, et les tissus riches en matrice ont été désignés comme «tissus conjonctifs». Cette matrice est composée de quatre familles de macromolécules, les collagènes et l’élastine formant une trame de protéines fibreuses, dont les interstices sont remplis par les protéoglycannes ; enfin, les glycoprotéines de structure assurent la cohésion entre cellules et matrice.Il est aujourd’hui démontré que tous les tissus contiennent de la matrice intercellulaire en quantité variable, et on réalise que la transition entre les tissus parenchymateux, tel le foie, par exemple, et les tissus appelés classiquement «conjonctifs», comme une lame tendineuse, n’est que quantitative. Il n’y a pas de différence qualitative essentielle entre les tissus car, bien que la qualité et la quantité des macromolécules de la matrice intercellulaire varient, leur présence est constante dans tous les tissus.La matrice intercellulaire joue un rôle important dans l’histogenèse, la différenciation et la morphogenèse. Ses modifications qualitatives et quantitatives sont en cause dans de nombreux états pathologiques (voir COLLAGÈNE, ÉLASTINE).1. Les protéoglycannesLes protéoglycannes et la matrice intercellulaire étaient primitivement connus en tant que mucopolysaccharides acides, car c’est leur partie glycosaminoglycannique (fig. 1) qui a été d’abord isolée et caractérisée. On ne devait reconnaître que beaucoup plus tard qu’il s’agissait en fait de produits de dégradation de protéoglycannes qui, depuis, ont été isolés à l’état natif et étudiés.CompositionLes protéoglycannes sont caractérisés par leur richesse en glucides. Les chaînes glycosaminoglycanniques sont constituées par la polymérisation d’unités répétitives comportant le plus souvent une molécule d’hexosamine et une molécule d’acide uronique ; ces deux constituants peuvent être sulfatés ou non, et ces disaccharides sont répétés un grand nombre de fois pour constituer des chaînes glucidiques de poids moléculaire variant de 10 000 à 50 000 environ (fig. 1). Une exception est le kératane-sulfate qui, à la place de l’acide uronique, comporte du galactose (tabl. 1). Ces longues chaînes glycosaminoglycanniques sont fixées sur une protéine porteuse centrale comme les poils d’un goupillon, avec une séquence intermédiaire qui est identique pour de nombreux glycosaminoglycannes, et qui comporte, après l’acide uronique terminal, deux résidus de galactose et un résidu de xylose lié par une liaison O-glycosidique sur une sérine ou thréonine de la protéine porteuse. La protéine porteuse a une composition caractéristique dans la mesure où elle est riche en proline, glycine, sérine et thréonine. Elle comporte deux parties essentiellement distinctes: l’une qui fixe les glycosaminoglycannes et l’autre, exempte de glucides, qui forme un site de reconnaissance pour l’acide hyaluronique.L’acide hyaluronique est un glycosaminoglycanne spécial dans la mesure où il ne paraît pas être lié à une protéine porteuse et où son poids moléculaire est très supérieur à celui des autres glycosaminoglycannes (de 1 à 10 fois 106). L’acide hyaluronique peut donc fixer de nombreuses unités protéoglycanniques (fig. 1) formant des agrégats de taille moléculaire de plusieurs centaines de millions. Ces agrégats sont stabilisés par la spécificité de la reconnaissance entre l’acide hyaluronique et la protéine porteuse. Cette reconnaissance est de surcroît renforcée par des glycoprotéines de liaison (link-glycoproteins ) qui se fixent à l’interface entre protéine porteuse et hyaluronate et confèrent ainsi une grande stabilité à ces énormes agrégats qui remplissent les interstices entre les fibres de collagène. Cette structure valable pour le cartilage, peut subir des modifications dans d’autres tissus.Rôle biologiqueLeur rôle biologique consiste à contrôler le trafic moléculaire entre le sang circulant dans les capillaires et les cellules. Ces agrégats de protéoglycannes comportent un «volume exclu» considérable. Cela signifie qu’un grand nombre de molécules sont «exclues» du volume où se trouvent ces protéoglycannes, simplement à cause de leur encombrement stérique. Plus une molécule sera volumineuse, plus son volume exclu dans un espace rempli par des protéoglycannes sera important. Ainsi, par exemple, les petites molécules, comme l’eau, le glucose et d’autres métabolites, peuvent diffuser relativement librement à travers le lacis polysaccharidique, tandis que des molécules protéiques de volume considérable, tels que par exemple les immunoglobulines (150 000 à 600 000) ou les lipoprotéines légères (de l’ordre du million) ne peuvent que très difficilement passer à travers le maillage (fig. 2). D’ailleurs, de nombreux arguments ont été trouvés à l’appui de la thèse selon laquelle, au cours de l’athérogenèse, les dépôts lipidiques dans la couche interne des vaisseaux sanguins (la sous-intima) prennent naissance à la suite de la formation de complexes entre les lipoprotéines légères (LDL) pénétrant dans la paroi et les protéoglycannes d’une composition spéciale qui s’y trouvent. À cet effet de volume exclu contribuent deux autres propriétés physico-chimiques importantes: la charge négative considérable que confèrent à ces polysaccharides les fonctions carboxyliques et ester-sulfate ionisées, ainsi que la quantité importante d’eau qu’ils peuvent retenir dans leur lacis polysaccharidique (effet hydratant).Certains protéoglycannes possèdent des capacités de reconnaissance spécifique pour d’autres macromolécules de la matrice intercellulaire, tels que la fibronectine ou les collagènes, et jouent ainsi un rôle important dans l’échafaudage d’un réseau macromoléculaire spécifique conférant la spécificité fonctionnelle et structurale aux tissus différenciés.On trouve certains protéoglycannes et glycosaminoglycannes non seulement dans la matrice intercellulaire, mais aussi à la surface des membranes cellulaires. Il s’agit surtout d’héparane-sulfate, qui joue un rôle important dans la composition glucidique de nombreux types de membranes cellulaires. On trouve également des protéoglycannes à héparane-sulfate dans les lames basales des capillaires et d’autres tissus, et on leur attribue un rôle important dans le contrôle de la perméabilité de ces lames basales, par exemple au niveau des capillaires glomérulaires des reins.PhysiopathologieLa composition des chaînes glycanniques ainsi que leur proportion varient en fonction de l’âge dans les différents tissus, et cette modification qualitative et quantitative contribue considérablement au vieillissement des tissus conjonctifs. Certains de ces glycosaminoglycannes, telle l’héparine, par exemple, jouent un rôle biologique important dans le contrôle de la coagulation et sont utilisés à ce titre dans la thérapeutique. L’acide hyaluronique hautement purifié est également utilisé en médecine, d’une part dans la chirurgie ophtalmologique, à la suite de l’initiative et des travaux de E. A. Balazs et de J. Denlinger, d’autre part en tant que substitut du liquide intra-articulaire au cours de certaines maladies rhumatismales.On connaît de nombreuses maladies où le métabolisme des protéoglycannes est perturbé, comme c’est le cas par exemple pour les mucopolysaccharidoses, qui sont accompagnées de malformations tissulaires considérables. Certaines de ces mucopolysaccharidoses ont pu être attribuées à une anomalie du métabolisme des enzymes qui contrôlent la dégradation des protéoglycannes et qui se trouvent à l’intérieur des lysosomes. Le mécanisme de ces anomalies moléculaires des enzymes lysosomiales a été élucidé en grande partie grâce aux travaux de E. Neufeld et d’autres laboratoires en Europe et aux États-Unis.2. Les glycoprotéines de structureDes quatre familles de macromolécules, collagènes, élastine, protéoglycannes et glycoprotéines de structure, ce sont ces dernières qui ont été le plus tardivement caractérisées. Cela pour deux raisons: difficulté de leur isolement, absence de constituants caractéristiques. La première glycoprotéine de structure a été isolée à partir du stroma de la cornée, en 1960, par L. Robert: c’est la kératonectine. Depuis une dizaine d’années, de nombreux autres composants appartenant à cette même classe ont été isolés et caractérisés à partir d’un grand nombre de tissus conjonctifs d’Invertébrés et de Vertébrés: fibronectine, laminine, chondronectine, hyaluronectine, entactine. Les mieux étudiés sont certainement la fibronectine et la laminine (tabl. 2).LocalisationLa fibronectine est élaborée surtout par les cellules mésenchymateuses, telles que fibroblastes, cellules musculaires lisses, et se rencontre in vivo essentiellement à deux niveaux, sous forme soluble dans le plasma où sa concentration augmente avec l’âge, ainsi que dans divers liquides biologiques, sous forme insoluble associée à de nombreuses membranes basales, et dans les tissus conjonctifs lâches.Laminine et entactine sont des glycoprotéines de structure spécifiques des lames basales. La laminine a été mise en évidence en microscopie électronique au niveau des laminae rarae épithéliales et glomérulaires. L’hyaluronectine a été décrite par B. Delpech et d’autres chercheurs au niveau du système nerveux central et dans d’autres tissus également. La chondronectine existe à la surface des cellules cartilagineuses. Plusieurs autres glycoprotéines de structure ont été isolées et caractérisées, mais elles n’ont pas reçu de dénomination spéciale (L. Robert, S. Junqua et M. Moczar).Ces glycoprotéines de structure sont présentes au niveau cellulaire, à l’intérieur des cellules et à leur surface, et dans la matrice intercellulaire. Elles peuvent s’associer aux autres macromolécules de la matrice, et c’est pourquoi l’hypothèse de leur rôle possible dans la morphogenèse du tissu conjonctif, dans le positionnement des cellules au sein de cette matrice, fut formulée pour la première fois il y a une trentaine d’années. Certaines ont un rôle régulateur dans la synthèse du collagène.Fonction mécaniqueLes glycoprotéines de structure présentent d’intéressantes propriétés qui conditionnent leurs possibles fonctions. Elles interagissent avec les collagènes, surtout interstitiels pour la fibronectine, types IV et V pour la laminine, type II pour la chondronectine, avec les protéoglycannes, particulièrement avec leur «moitié» glycosaminoglycannique. Ces interactions ont été particulièrement étudiées pour la fibronectine qui, en outre, interagit avec certains éléments du cytosquelette (actine, vinculine), avec l’ADN, avec certains types cellulaires, avec des bactéries... Toutes ces interactions sont spécifiques, «médiées» par des sites qui ont pu être localisés sur la molécule de fibronectine par protéolyse ménagée. Un des modèles de structure de la fibronectine fait l’objet de la figure 3, tandis que la figure 4 montre d’une façon schématique la façon dont la fibronectine «colle» la membrane cellulaire sur les fibres de collagène et les protéoglycannes de la matrice intercellulaire. On a ainsi pu comparer cette molécule à une «colle moléculaire».Ces propriétés conditionnent les possibles fonctions de cette glycoprotéine de structure: rôle dans l’adhésion cellulaire, dans la morphogenèse du tissu conjonctif, dans les processus de cicatrisation. Elle présente également un caractère d’opsonine.Laminine et chondronectine sont aussi considérées comme des protéines d’adhésion: la laminine jouerait un rôle important dans l’ancrage des cellules épithéliales sur la lame basale, par exemple dermo-épidermique, ou dans d’autres tissus comme la paroi intestinale, et la chondronectine interviendrait dans l’insertion des chondrocytes dans la trame fibreuse du cartilage, formé principalement de collagène de type II.CompositionCes glycoprotéines de structure sont essentiellement des N-glycosyl-protéines. Les oses constitutifs sont l’acide sialique, le galactose, le mannose, la N-acétylglucosamine. On y rencontre aussi du fucose et parfois du glucose. Elles contiennent aussi du sulfate. La composition en acides aminés montre une teneur élevée en acides aminés dicarboxyliques, en acides aminés aromatiques. Elles contiennent de la cystéine. Quelques caractères des glycoprotéines de structure sont rassemblés dans le tableau 2.Rôle physiopathologiqueUne des raisons majeures de l’intérêt qu’on leur porte découle de l’observation, faite en 1973 pour la première fois par R. O. Hynes et confirmée depuis par de nombreux auteurs, de la perte ou de la diminution de la fibronectine de la membrane des cellules transformées en culture par les virus oncogènes. Les causes précises de cette diminution ne sont pas encore bien connues aujourd’hui: il peut s’agir d’une biosynthèse diminuée, d’une attaque par les protéases, d’un renouvellement accéléré, d’une perturbation au niveau des récepteurs membranaires ou dans les gangliosides, de la production d’une forme altérée de la fibronectine. Le résultat est un changement dans la morphologie cellulaire et dans le comportement social des cellules. Les faits ont été reliés à la tumorigénicité et aussi à la capacité qu’ont les cellules de faire des métastases. Ces observations faites sur des cultures cellulaires ont pu être étendues aux tumeurs humaines solides.Les glycoprotéines de structure sont les composés les plus antigéniques de la matrice intercellulaire. Elles jouent ainsi un rôle important dans les maladies auto-immunes de ces tissus.
Encyclopédie Universelle. 2012.